Réflexions sur la déchéance de nationalité française
Ce que font certains individus, qui tuent aveuglément ceux qu’ils cataloguent comme appartenant au groupe des « ennemis » ou des « impies », est horrible. Et est inadmissible du point de vue de la dignité qui devrait s’attacher au comportement des êtres humains dans leurs relations avec les autres êtres humains.
C’est horrible et inadmissible. Mais, soit dit en passant, pas plus, et plutôt moins du point de vue statistique, que les tueries qu’organisent des hommes politiques (dont l’appartenance à la Nation n’est pas mise en question) pour renverser et tuer d’autres leaders politiques (étrangers), lorsque ces derniers ont la malencontreuse idée de contrarier certains intérêts matériels et chiffrables.
L’horreur passe alors de quelques dizaines de victimes à plusieurs centaines de milliers. Et l’indignité croit dans les mêmes proportions.
Puisque les chefs d’État, les chefs de gouvernements et les ministres qui sont à l’origine de ces tueries de masse, sont à l’abri de toute poursuite, ne sont pas voués aux gémonies, et poursuivent leur carrière, certains recommençant (après la Libye … la Syrie) qui plus est, occupons-nous donc des terroristes, comme seuls véritables criminels.
L’idée de déchoir de la nationalité française des individus qui se sont rendus coupables d’actes atroces, alors qu’ils ne sont pas que Français, ou qu’ils ne l’ont pas toujours été, est une idée attrayante. Et politiquement rentable. On comprend que les dirigeants politiques l’exploitent [1].
Enlever la nationalité française à des individus odieux ça fait plaisir. Et ça fait voter. Plaisir qui serait supérieur (comme l’efficacité du racolage des bulletins de votes) si, pour assurer son gagne-pain dans des fonctions électives, on pouvait proposer de rétablir la peine de mort et si l’on osait le cas échéant, promettre que la mise à mort serait lente et douloureuse.
Mais il n’est pas certain que l’idée soit, indépendamment de son caractère astucieux du point de vue de la manipulation politique et du ratissage électoral, totalement intelligente.
Car en dehors de l’expression du besoin de vengeance s’ajoutant à la sanction pénale, on ne voit guère à quoi cette mesure peut concrètement servir.
Déjà, les terroristes qui se sont fait sauter à la dynamite ne sont plus concernés par la vengeance. Quant à ceux qu’on attrapera, il y a fort à parier qu’ils se moqueront de ne plus être Français quand ils croupiront en prison. Justement parce qu’ils ne se sentaient pas ou plus Français et qu’ils tenaient les Français pour des ennemis. Comme s’en moquent à l’évidence, et pour les mêmes raisons, les terroristes potentiels. Lesquels, d’ailleurs, ne se recrutent pas sur la base de leur nationalité française.
Et puis, déchoir de la nationalité française les individus qui n’ont pas toujours été Français ou qui ont, en le devenant, conservé une autre nationalité (qui se trouve être dans les faits actuels, celle d’un pays du Maghreb ou celle d’un pays d’Afrique subsaharienne) nous paraît s’inscrire dans une démarche quelque peu embarrassante : « Moi, vrai Français, je décide que toi, … tu es exclu du groupe, compte tenu de ta différence originelle».
Embarrassante, parce que cette démarche emprunte sous un certain rapport la « logique » de ceux qui ont dit (avec les conséquences que l’on connaît), toujours en jouant de la différence d’appartenance :
« Moi je suis Blanc, donc toi, le Noir, tu peux être mon esclave » ;
« Moi je suis Musulman, donc toi le Roumi, tu dois te soumettre à l’ensemble de mes croyances, de mes interdits, de mes pratiques vestimentaires, alimentaires, et te ranger à mes conceptions relatives au statut de la femme » ;
« Moi, je suis Juif, donc j’ai droit de prendre ta terre et ta maison, parce que toi tu ne l’es pas».
Embarrassante, parce qu’on met une fois encore la Nation en système de communautés juxtaposées et qu’on crée ou officialise par voie de conséquence la catégorie ou … la sous-catégorie des Français « pas comme les autres ». Dans laquelle des « Blacks » et des « Beurs » risquent de se reconnaître. Et qui ravivera en tous cas pour les « Beurs », le souvenir du deuxième collège réservé en Algérie par les Français, aux « Français musulmans ». (Pour mieux « s’intégrer » comme on leur dit de le faire ?)
Reste à apprécier l’astuce consistant à mettre dans la constitution une règle (retrait de la nationalité) qui serait probablement déclarée inconstitutionnelle si elle avait fait l’objet d’une « simple » loi.
Aujourd’hui, il reste [2] deux possibilités au pouvoir politique pour violer les principes de la République :
1. faire voter l’affaire par référendum, ou obtenir du peuple qu’il autorise, par quelque disposition habile à la portée cachée, le gouvernement à faire le mauvais coup par ordonnances et décrets : l’article 11 a été modifié en 1995 (« réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent ») probablement pour donner carte blanche au gouvernement pour « casser » un jour la sécurité sociale
2. donner au mauvais coup le label « constitutionnel » : il suffit de faire voter le texte deux fois selon la procédure de l’article 89. Un fois par chaque assemblée siégeant séparément à Paris et une deuxième fois par tous les parlementaires réunis ensemble dans la salle des congrès à Versailles.
Pourquoi ?
Parce que nos juridictions se refusent encore à statuer sur la violation des principes si la violation est inscrite dans une loi « référendaire » ou si la violation est inscrite dans le texte constitutionnel.
C’est l’article 89 qui sera utilisé pour le coup de la déchéance de la nationalité.
Il serait amusant que les juges franchissent un nouveau pas [3] dans la défense des droits et des libertés. Et décident qu’une violation du droit est une violation, quelle que soit l’endroit dans lequel la violation a été nichée.
Et tant pis pour le ratissage des voix.
Marcel-M. MONIN
Maître de conférences honoraire des Universités.
Docteur d’État en droit
Secrétaire général de l'UTD
[1] Surtout que lorsque l’attention des citoyens est focalisée sur ce genre de questions (alors même que le code civil prévoit déjà a déchéance de la nationalité pour des actes de terrorisme), ces derniers ne pensent pas à s’interroger sur le point de savoir pourquoi les dirigeants politiques (de tout l’éventail) s’ingénient à pratiquer (en douce) les recettes qui permettent à une minorité d’encaisser beaucoup. Et qui font que la majorité de la population, qui se passionne pour la déchéance de la nationalité de quelques paumés, galère, est au chômage, paie des impôts auxquels les premiers échappent. Population qui ne s’étonne pas non plus que sa classe politique fasse tout ce qu’il faut pour que la France et ses entreprises passent sous contrôle étranger. Population qui ne pense pas non plus à se demander pour qui ou pour quoi ses dirigeants travaillent en dernière analyse, et si elle a élu des individus pour subir les aberrations que ces derniers lui font subir.
[2] En France, on amuse beaucoup l’opinion publique et les étudiants avec des théories fumeuses sur la « hiérarchie des normes ». Et sur la transformation du texte constitutionnel en fourre-tout (dans lequel on ne fait même pas la distinction –sic- entre les règles techniques sur le fonctionnement des institutions de l’État, et les ajouts de circonstance qui concernent tout autre chose).
La seule chose qui soit intéressante pour le citoyen, ce n’est pas qu’une règle scélérate soit à tel endroit, c’est qu’un juge l’en protège et l’en débarrasse. Ce que les juges décident de faire ou non.
La réalité est techniquement simple : Les maires réservaient jadis des emplacements de stationnement aux alentours de la mairie, aux véhicules municipaux : le Conseil d’État annulait ces arrêtés, qui méconnaissaient à ses yeux le principe d’égalité des usagers des voies publiques. Pour que les maires puissent violer ce principe, on a voté une loi. Parce que le Conseil d’État se refusait à dire qu’une loi violait quoi que ce soit. Et quand de nouveaux arrêtés municipaux appliquaient la nouvelle loi les juges ne les annulèrent plus.
Puis le Conseil constitutionnel (1971), la Cour de Cassation, le Conseil d’État se sont mis à dire que des lois « ordinaires » violaient des principes : le pouvoir ne pouvait plus faire les mêmes mauvais coups avec la complicité de sa majorité parlementaire. On a même créé la « question prioritaire de constitutionnalité » en 2008 qui permet aux plaideurs de déclencher le contrôle du Conseil constitutionnel.
Les possibilités de faire n'importe quoi se sont ainsi réduites. Il reste un peu à faire pour que le pouvoir politique respecte les principes qui sont la propriété de tout le monde.
[3] Les juges constitutionnels du Niger ont réussi à émettre l’avis en mai 2009, que le président sortant ne pouvait pas se représenter, même si la constitution était préalablement modifiée pour le permettre. Quelle que soit la motivation de l’avis, cette prise de position ébranle de manière sympathique l’idée que les gouvernants pourraient tout faire en triturant le texte constitutionnel.